mardi 19 décembre 2017

La « pilule » était un spermicide… par Marc Zaffran/Martin Winckler

 Ces jours-ci, dans Le Monde, on pouvait lire dans l’article évoquant la promulgation de la loi Neuwirth légalisant la contraception, en 1967 : 

« Il fallut un an pour convaincre le parlement d’adopter et de promulguer la loi Neuwirth autorisant la pilule contraceptive, le 28 décembre 1967. Engagé dans les Forces françaises libres au côté du général de Gaulle, Lucien Neuwirth (1924-2013) découvrit la pilule à Londres un soir de juin 1944 : une Anglaise avec laquelle il avait un rendez-vous amoureux lui glissa un contraceptif effervescent dans la main. Le jeune homme fut abasourdi : la « gynomine », contraceptif à usage unique, était en vente libre dans les parfumeries anglaises. » Le Monde, 19 décembre 2017


Ce premier paragraphe témoigne, de la part de l'auteur de l'article, d'une confusion née d’une méconnaissance historique.

Quand on connaît l’histoire de la contraception, le problème saute aux yeux : en 1944, une Anglaise ne peut pas mettre dans la main de Lucien Neuwirth une « pilule effervescente ». 

Tout simplement parce que les pilules contraceptives (c’est à dire une contraception hormonale absorbable par voie orale) n’ont été développées par Gregory Pincus (et testées à Porto-Rico) que dans les années 50. Elles ont été approuvées par la FDA (Food and Drugs Administration) américaine en 1957, et mises sur le marché pour la première fois en 1960 aux Etats-Unis. Quant aux seules « pilules à usage unique » existant pour le moment, le lévonorgestrel (Norlevo) et son dérivé l’ullipristal (Ella One), elles n’ont été commercialisées que dans les années 80 et 2000, respectivement.

Ce que la jeune femme met dans la main de Lucien Neuwirth, le Gynomine, est un spermicide. Autrement dit : une substance inactivant les spermatozoïdes, utilisée sans (ou avec) des préservatifs ou un diaphragme – et donc, introduite dans le vagin. Le fait que le Gynomine soit effervescent signifiait qu’il se dissolvait facilement au contact de l’humidité et diffusait rapidement dans les secrétions vaginales.
Pris par la bouche, ça n’aurait pas vraiment été efficace. 

(Dans les années 70, en France, quand j'étais étudiant en médecine, il existait des capsules spermicides similaires, des crèmes et des éponges vaginales imprégnées de ces substances.) 

Après l’allaitement et le retrait (qui sont des méthodes qu’on peut qualifier de naturelles), les spermicides sont, historiquement parlant, la méthode de contraception la plus ancienne. Dès que les humain.e.s ont fait le lien entre éjaculation et fécondation, on s’est préoccupé de tuer (ou de bloquer) le contenu du sperme. La première mention de substances spermicides est décrite dans un papyrus égyptien datant de 1850 avant notre ère, le papyrus d’El-Lahoun. On y parle d’excréments de crocodile, de blé fermenté, de miel, de gomme arabique… Mais dans de nombreuses cultures, on utilisait aussi des rondelles de citron posées contre le col, car l’acidité du jus était défavorable à la circulation des spermatozoïdes…

Ce sont également les Egyptiens qui décrivent pour la première fois des « fourreaux péniens » destinés à servir de préservatifs.

Si des spermicides étaient déjà disponibles dans les pays anglo-saxons dans les années 40 c’est parce que les recherches sur la contraception y existent depuis toujours, sous toutes les formes. Le diaphragme date de 1882, l’ovule spermicide à la Quinine de 1886 (il sera utilisé en Angleterre jusqu’à la fin des années 40) ; les capes cervicales de 1890.
Toujours est-il que l’article du Monde cité plus haut aurait pu gagner en sérieux en modifiant un seul mot dans le premier paragraphe. Il aurait fallu écrire :

« Engagé dans les Forces françaises libres au côté du général de Gaulle, Lucien Neuwirth (1924-2013) découvrit la contraception à Londres un soir de juin 1944. »

Et la « découverte » de la contraception par le jeune Neuwirth s’explique très bien : alors qu’en 1916, la militante Margaret Sanger ouvre la première « clinique » de planification à Brooklyn et que le ministère de la santé britannique autorise dès 1930 la diffusion des méthodes de contraception, en France en revanche, à partir de 1920, la loi française interdit toute promotion, vente et prescription de méthodes contraceptives pour encourager la natalité après l’hécatombe de la Grande Guerre. 

Cette loi ne sera abrogée qu’en 2001, par la loi sur la contraception* qui élargit les délais de l’IVG, permet la délivrance gratuite de la pilule d’urgence aux mineures et autorise (enfin) la stérilisation volontaire des personnes majeures. 


Cet excellent article de « The Conversation » montre les variations d’utilisation des différentes méthodes aujourd’hui dans le monde.

Pour un historique de la contraception, voyez cet article de la défunte revue en ligne The Contraception Report (le PDF peut être téléchargé).



*Rectificatif/Erratum : j'avais initialement et par erreur (je confonds souvent les deux) écrit "en 2002, par la loi Kouchner". Merci à Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien et par ailleurs émérite militant de la santé des femmes, de m'avoir indiqué l'erreur. :-) 


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