lundi 15 août 2016

Les femmes, les hommes, les pharmaciens et la contraception d’urgence


Pendant mes vingt-cinq ans d’exercice en médecine générale (à la campagne puis en centre de planification), je ne compte pas le nombre de femmes qui sont venues me demander une contraception d’urgence (CU). Avant la commercialisation du Norlevo, on prescrivait 4 cp de Stédiril (2 toutes les 12 heures) – ce qu’on appelait la « méthode de Yuzpe » ; le Tétragynon, commercialisé dans les années 80, était la même chose sous une présentation unitaire. 

C’était très efficace, mais pas dénué de risques. Que je sache, et j'en suis heureux, aucune des patientes à qui j'ai prescrit du Stédiril ou du Tétragynon n’a eu d’effet secondaire grave, mais j’ai reçu en consultation, un jour, une femme qui avait fait une thrombose de l’artère centrale de la rétine après la prise de Tétragynon. Elle en avait gardé un champ visuel réduit sur un oeil. Elle n'avait que 25 ans. 

(Ce qui était inacceptable, c’est que lorsqu’un médecin la lui avait prescrite, le Norlevo existait déjà. Il lui avait donc prescrit celle des deux CU qui était la plus dangereuse. Dans les pays où le Norlevo n’existe pas, le risque est acceptable (il est moins grand que les risque d'une grossesse non désirée) ; le connaissant, les femmes choisiront le plus souvent d’utiliser ce type de méthode. Dans les pays où le Norlevo est commercialisé, un médecin qui prescrit une autre méthode commet à mon sens une faute professionnelle, puisqu’il fait courir à la patiente des risques inutiles et démesurés.) 

Si je commence par cette histoire, c’est parce qu’il me semble que la question centrale de la délivrance du Norlevo en tant que CU réside avant tout dans la sécurité des femmes. Et que c’est la question de la sécurité qui devrait primer sur toutes les autres. (NB, dorénavant je parlerai seulement du Norlevo, car Ella-One n’a pas d’avantage démontré sur lui, comme l’écrivait encore en 2015 La revue Prescrire)

Rappelons les faits :
-       du point de vue de la santé des femmes et de la santé publique, les bénéfices d’une CU sans danger et d’accès facile sont incommensurables, quand on les compare à l’alternative (grossesses non désirées, IVG) ;
-       le lévonorgestrel à dose efficace pour servir de CU ne fait courir aucun risque d’effets cardiovasculaires graves (aucun décès recensé sur toute la planète) ;
-       le lévonorgestrel en CU est considéré comme un médicament essentiel par l’OMS qui recommande explicitement :  
« Toutes les femmes et jeunes filles exposées au risque d’une grossesse non désirée ont le droit d’avoir accès à la contraception d’urgence et ces méthodes doivent être systématiquement intégrées dans les programmes nationaux de planification familiale. De plus, la contraception d’urgence doit être incluse dans les services de soins destinés aux populations les plus exposées au risque de relations sexuelles non protégées, notamment après le viol, et ceux destinés aux femmes et aux jeunes filles vivant dans des situations d’urgence ou d’aide humanitaire. »

-       les « risques » de l’acheter et de l’utiliser librement (même plusieurs fois par an) sont inexistants, et c’est ce qui a motivé la délivrance sans ordonnance et la délivrance gratuite aux mineures en France.

Ce rappel étant fait, en France, quand un médecin prescrit du Norlevo, quel est le risque pour la femme ? (Même s’il n’a jamais vu cette femme auparavant et ne sait absolument rien d’elle.)
Zéro. Rien. Nada. Nothing. Niente. Null.

Quel est le risque s’il ne le prescrit pas ?
Refuser du Norlevo ce n’est pas seulement contraire aux bonnes pratiques, c’est faire courir à la femme le risque d’une grossesse non désirée et de ses conséquences. C'est plus risqué que de lui en délivrer. (Culpabiliser/humilier une patiente qui en demande est aussi une faute professionnelle et un comportement contraire à l'éthique.) 

Il en va de même pour le pharmacien. Si la patiente a une ordonnance, il doit la délivrer. Si elle n’en a pas, il doit la délivrer aussi – le Norlevo est en vente sans ordonnance en pharmacie, comme l’aspirine, le paracétamol, l’ibuprofène ou, si je ne m’abuse, l’association paracétamol + codéine, qui sont tous les quatre potentiellement toxiques si on prend la boîte entière mais aussi à doses « normales » chez certaines personnes sensibles.
Délivrer de l’aspirine à une personne qu’on ne connaît pas est statistiquement plus risqué que délivrer du Norlevo.

Si la femme dit être mineure, il doit la délivrer gratuitement et déclarer les boîtes ainsi délivrées pour être indemnisé.

Quel est le risque de délivrer du Norlevo à un homme qui la demande pour une femme ?

Cette femme peut être son amie, sa compagne, mais aussi sa sœur, sa fille, sa nièce, sa cousine et au fond n’importe quelle femme de son entourage qui ne veut pas aller l’acheter elle-même pour ne pas être stigmatisée, justement ! Ou, plus prosaïquement, parce qu'elle ne peut pas : on peut avoir eu un rapport sexuel à risque et être clouée au lit le (sur)lendemain par la grippe ou par un lumbago ; on peut aussi avoir des horaires de travail impossibles. 

Bien sûr, il ne s’agit pas de délivrer trente boîtes à quelqu’un qui les demande. Mais UNE boîte ? Quel est le risque de la délivrer à un homme ?

La revente ? C’est idiot, puisque le Norlevo est en vente libre. La revente au marché noir concerne essentiellement les médicaments qui ne sont pas en vente libre (ou gratuits pour les mineures). Et encore une fois, il s’agit d’UNE boîte, pas de trente.
Il peut la prendre lui-même ?  Ça ne le tuera pas. Il n’est même pas sûr que ça le rende malade.
Il peut la donner à une femme qui n’en a pas besoin ?  Le Norlevo n’a pas plus d’effets secondaires sur les femmes sans risque d’être enceintes que sur celles qui le sont. S’il est pris par quelqu’un qui n’en a pas besoin, où est le danger ?
Il peut l'utiliser comme abortif ? Ca ne marchera pas, et on ne voit pas pourquoi les hommes seraient tentés d'utiliser comme abortif un médicament connu pour ne pas l'être. 

On peut aussi demander aux pharmaciens s’ils accepteraient de délivrer du Norlevo à une femme de 70 ans qui la demande pour sa petite-fille (en sachant qu’il est impossible de vérifier que c’est vrai.) Si la réponse est « oui » alors qu’elle est « non » pour un homme, on est en droit de penser qu’il s’agit d’un préjugé sexiste.

Il y a beaucoup de situations où des hommes pourraient être amenés à demander du Norlevo pour une femme en toute légitimité : 
- confidentialité protégeant la femme, pour des raisons familiales, ethniques, religieuses, etc.
- l'homme parle français, la femme non

- l'homme est valide, la femme ne l'est pas (on peut être handicapée et avoir des relations sexuelles mais ne pas pouvoir se rendre à la pharmacie) 
- l'homme a une voiture et conduit ; la femme non et elle ne peut pas l'accompagner ; or, la pharmacie est loin... 
- l'homme est un travailleur social qui veut fournir une CU à une femme qui en a besoin
Etc...

L'argument selon lequel l'homme "peut mentir" en demandant du Norlevo n'est pas pertinent, ni recevable. Tout le monde peut mentir, mais pour des raisons éthiques, un professionnel de santé doit partir du principe qu'un patient dit la vérité. Enfin, le mensonge (si mensonge il y a) peut concerner aussi bien une femme qu'un homme. Une mineure peut très bien aller demander du Norlevo gratuitement pour une amie majeure qui n'a pas d'argent, et personne n'en saura rien. Où est le mal puisque ça évite une grossesse non désirée, qui aurait coûté à la femme et à la collectivité plus cher que la prise en charge du Norlevo ? 

Il m'est arrivé plus d'une fois d'aller acheter du Norlevo dans une pharmacie. Bien sûr, quand il s'agissait d'un pharmacien qui me connaissait et savait que je suis médecin, il ne posait pas de question. Mais je suis allé une fois dans une officine qui ne me connaissait pas et j'ai demandé deux boîtes. On m'a demandé pourquoi. Je n'ai pas dit que j'étais médecin, j'ai dit (c'était vrai) que je voulais avoir du Norlevo d'avance pour que mes enfants (quatre étaient adolescents) en aient à leur disposition. J'avais aussi acheté une (grosse) boîte de préservatifs. La pharmacienne m'a regardé un instant, puis elle a souri, hoché la tête, et m'a vendu le Norlevo (je ne m'étais pas fait d'ordonnance) et les préservatifs. Sans poser de question.

Il m'est aussi arrivé à maintes reprises d'acheter du Norlevo pour en avoir au cabinet médical et en donner gratuitement aux femmes qui en avaient besoin. C'était moi qui le payais, mais ça rentrait dans mes frais généraux. Et j'en ai prescrit et donné plus d'une fois (à mon cabinet ou à l'hôpital) à des femmes que je n'avais jamais vues et que je n'ai jamais revues.

Puisqu’il n’y a pas de risque (ni infraction à la réglementation) et que le coût social est négligeable alors que les bénéfices potentiels sont énormes, le refus de délivrer du Norlevo à un homme est un refus de vente lié à une discrimination, laquelle est punie par la loi. Alors que la délivrance du Norlevo à un homme n’est dangereuse pour personne (et ne coûte rien à la société, puisque l’homme ne sera pas remboursé), le refus de délivrer le Norlevo met en danger avant tout la femme qui en aurait besoin.

Et si l’homme qui demande le Norlevo est mineur ?

Personnellement, pour avoir eu deux ou trois fois affaire à des adolescents qui me demandaient du Norlevo « pour en avoir chez eux au cas où une capote craquerait », je n’ai que de l’admiration et du respect pour des jeunes hommes qui se préoccupent de la sécurité des femmes avec qui ils ont des relations sexuelles. Refuser du Norlevo aux garçons qui en demandent UNE boîte, c’est décourager ces garçons de prendre leurs responsabilités et de contribuer à la sécurité des femmes. 

(Dans ce cas, il reste au pharmacien à déterminer s'il fait payer le garçon ou s'il délivre le Norlevo comme à UNE mineure. Mais pourquoi le faire payer, franchement ? Ce serait une discrimination par l'argent...) 

Car encore une fois, se mettre en avant pour éviter à sa compagne mineure d’être stigmatisée (n’oublions pas que les filles le sont toujours plus que les garçons en matière de sexualité) je trouve ça non seulement respectable, mais réconfortant. 

Je ne suis pas pharmacien, mais la lecture de la réglementation donne de bonnes raisons de croire que vendre une boîte de Norlevo à un homme (ou à un tiers qui ne peut pas être l'utilisatrice) ne pose aucun problème médico-légal. En revanche, encore une fois, les bienfaits possibles de cette délivrance sont considérables pour les femmes qui en ont besoin – même si le pharmacien ignore de qui il s’agit

Beaucoup de pharmaciens se plaignent d’être méprisés par les médecins et par les patients. Or, le respect et la confiance, ça se gagne en ayant un comportement respectueux et nuancé, qui tienne compte de la réalité concrète des individus, et non en se retranchant derrière une réglementation, une idéologie ou des préjugés envers les individus, quel que soit leur genre.

Pour les nombreux pharmaciens qui ne se retranchent pas derrière ces excuses, je suis certain qu’il est facile de délivrer du Norlevo à toute personne qui en demande, homme ou femme, de n’importe quel âge, sans question ni soupçon, et en donnant toutes les informations nécessaires à une bonne utilisation. 

Ces pharmaciens-là ne regardent pas les personnes qui entrent dans leur officine et leur font cette demande avec méfiance, mais ils sont gratifiés de pouvoir éviter à une femme – et, si c’est l’homme qui se présente, à un couple – une situation très difficile. Sans aucun risque pour personne. 

Ces pharmaciens-là se comportent en soignants et ils font honneur à leur profession.




1 commentaire:

  1. Bonjour. Je suis infirmière scolaire dans le sud-ouest. Je travaille dans un grand lycée de plus de 2000 élèves. Malgré le nombre les demandes de Norlevo sont minimes (moins de 10/an) et restent stables. J'ai, plusieurs fois, discuté avec les élèves au sujet de la délivrance du Norlevo. Il en ressort que certaines sont allées en chercher à la pharmacie et qu'elles ont parfois été très déçues. Quelques fois on a refusé de leur en donner. Très souvent on leur a demandé une pièce d'identité pour s'assurer qu'elles étaient bien mineures. D'autres fois encore, bien que mineures, on leur a demandé de payer.
    J'ai écrit au Conseil de l'Ordre des Pharmaciens pour leur faire part de mon étonnement. Ils m'ont répondu qu'ils n'y pouvaient rien. Que les pharmaciens géraient leur officine comme ils le voulaient, et qu'on ne pouvait leur faire aucun reproche.

    Dommage pour nos jeunes qui se montrent suffisamment responsables pour agir comme il le faut et qui se retrouvent face à des adultes soit-disant "aidants" qui leur mettent des bâtons dans les roues.

    France

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