dimanche 14 février 2016

Aucune contraception ne peut être "interdite" par un.e professionnel.le de santé - par Marc Zaffran/Martin Winckler

Sur Twitter, une internaute hèle médecins et sages-femmes en demandant : "Est-ce que le diaphragme et la cape cervicale sont interdites aux nullipares ?"

C'est une question légitime, et pas du tout ridicule. Même si vous connaissez la réponse, ça ne veut pas dire que tout le monde la connaît. Et même si vous connaissez la réponse, vous êtes en droit de vous la poser aussi - pour vous assurer que ce que vous croyez est la bonne réponse, ou est bien toute la réponse.

Dans mon esprit, en matière de santé, il n'y a pas de question "ridicule" ou "stupide". On sait, ou on ne sait pas. Si on ne sait pas, on est en droit de poser la question. Rien ne peut être su spontanément. Il faut qu'on nous l'ait appris. A une question simple, répondre "Tu devrais le savoir" est au minimum paternaliste et supérieur, au maximum insultant et méprisant. Quand quelqu'un vous (par "vous", j'entends "une personne réputée savoir") pose une question, la moindre des choses est de le prendre comme une marque de confiance et d'y répondre au mieux. C'est à dire, d'abord en essayant de savoir pourquoi elle pose la question - afin de lui donner la réponse la plus appropriée pour elle.

Dans un premier temps (parce que j'avais été "hélé" par une autre internaute), j'ai répondu : "Aucune contraception n'est interdite aux nullipares."
Mais derrière cette question, j'en ai entendu deux autres. L'une que pose l'internaute. L'autre, que je me pose.

1° "Est-il médicalement valide qu'une femme nullipare (qui n'a jamais mené de grossesse à terme) utilise un diaphragme ou une cape cervicale ?"

2° "Qu'est-ce qu'une contraception interdite ?" Le mot "interdit" est fort. A lui seul il en dit long sur la nature des relations entretenues par certain.e.s professionnel.le.s de santé avec les patient.e.s qui les consultent. (Vous observerez que je n'écris pas "leurs" patient.e.s, tout comme je n'écris plus "mes" patient.e.s depuis longtemps.)

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Répondons brièvement à la première question : OUI, un diaphragme ou une cape cervicale sont des contraceptions parfaitement valides pour une femme qui n'a pas eu d'enfant. Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'état actuel des connaissances.

Diaphragme, cape cervicale et préservatifs féminins sont les équivalents du préservatif masculin : des méthodes dites "barrière", qui s'opposent au passage des spermatozoïdes. Rien ne s'oppose à ce qu'une femme les utilise, on peut même dire qu'il y a probablement très peu de situations qui rendent leur utilisation impossible. S'il y en avait, la responsabilité du médecin consisterait à les énumérer à la patiente qui lui demande conseil, afin de faciliter son choix.

Vous noterez que l'âge ou le fait d'avoir ou non mené une grossesse à terme n'ont rien à voir avec leur utilisation. Médicalement parlant, toute femme qui a des rapports sexuels et qui se croit susceptible d'être enceinte est en droit de se protéger d'une grossesse non désirée. (Certaines parfois ne le font pas par "inconscience" mais parce qu'elles ne peuvent pas, ou pensent sincèrement que le risque de grossesse n'existe pas.) Cependant, la culture ambiante favorise - ou s'oppose - à l'utilisation de ces méthodes selon que l'information et la prescription contraceptives sont ou non contrôlées par les seuls médecins. 

Car dans les pays où la contraception est enseignée et disponible à qui la veut, ces méthodes sont utilisées librement par toute femme qui le désire (je pense aux Pays-Bas, à l'Angleterre, aux pays scandinaves, en particulier). Dans ces pays-là, on considère que c'est à la femme de choisir sa contraception.

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Voyons la seconde question : Qu'est-ce qu'une contraception interdite ?

D'abord, une notion simple : aucun traitement ne peut être interdit par un médecin ou un.e professionnel.le de santé. Il ou elle peut le déconseiller ou refuser de le prescrire, mais pas "l'interdire". C'est la loi qui interdit. Les professionnels n'ont pas ce pouvoir : la loi s'applique aussi à eux. Et ils ne peuvent pas "interdire" à la place du législateur.

Il est, par exemple, interdit à un citoyen lambda d'acheter des morphiniques sans ordonnance. C'est la loi. Le pharmacien ne peut pas transgresser la loi, il ne peut donc pas lui en délivrer : c'est un médicament à prescription contrôlée (pour éviter toxicomanie et trafics). Mais un médecin, en revanche, a le droit de prescrire ce qu'il veut - tout en respectant la loi. S'il prescrit de la morphine à quelqu'un qui dit souffrir, il est en droit de le croire. S'il lui prescrit de la morphine en sachant que le patient va la revendre, alors il enfreint la loi en participant sciemment à un trafic de stupéfiants.

Autre exemple, il est tout à fait possible pour un médecin de prescrire des diurétiques ou des hormones thyroïdiennes à un.e patient.e pour les faire maigrir. Ce n'est pas spécifiquement interdit par la loi, mais c'est tout de même une faute professionnelle parce que c'est une prescription dangereuse et inefficace ; si le/la patient.e qui les prend fait un accident ou une complication liés à cette prescription, il/elle sera en droit de porter plainte et de demander réparation. Et il/elle gagnera.

Dans cette même circonstance, et en l'absence de tout accident, un patient, un médecin ou un pharmacien sont parfaitement en droit de signaler à l'autorité de tutelle (la sécu, par exemple) que le médecin se conduit de manière anti-professionnelle. Et ce sera juste.

Ces deux exemples pour montrer que les "interdictions" ne sont jamais énoncées par les médecins eux-mêmes. Elles découlent des données de la science et inscrites dans les recommandations de bonne conduite professionnelle. Elle découlent aussi de principes d'éthique. ("D'abord, ne pas nuire.")

En médecine comme dans d'autres domaines, les interdictions strictes ne peuvent donc être que légales ou, à la rigueur réglementaires (dans le cadre d'une institution ou d'une école, par exemple). Elle ne peuvent pas être décrétées unilatéralement par un individu, car la loi ou les réglements s'appliquent en principe à tou.te.s.

*

Revenons à la contraception. Un médecin peut-il interdire à une femme d'employer telle ou telle méthode ? Vous savez désormais que la réponse est NON.

En France, contrôler sa fertilité, ça n'est pas interdit par la loi. Quelle que soit la méthode considérée.

Si l'avortement clandestin est interdit, cette interdiction concerne les non-médecins qui pourraient les pratiquer et mettre les femmes en danger. Pas les femmes elles-mêmes. Par ailleurs, l'avortement dans le cadre d'un centre d'IVG est parfaitement légal. Même si la femme est mineure, et sans l'autorisation de ses parents.

Depuis 2001, même la stérilisation volontaire est clairement autorisée par la loi. Si son accès est si compliqué, c'est que beaucoup de médecins se dressent devant les personnes qui la demandent. 

Certaines méthodes contraceptives (les préservatifs, le diaphragme, la cape cervicale, la contraception d'urgence) sont accessibles sans ordonnance. D'autres méthodes (pilule, DIU, implant...) ne sont accessibles que sur ordonnance, mais elles ne sont pas soumises au même régime restrictif que les stupéfiants ou les amphétamines, par exemple. Dans de nombreux pays, on débat pour savoir si les pilules ne devraient pas être en vente libre en pharmacie, sans ordonnance. Et l'auto-pose de DIU est actuellement à l'étude.

Autant dire qu'en matière de contraception, il n'y a pas grand-chose d' "interdit".  

Du point de vue du professionnel, un médecin peut conseiller ou au contraire déconseiller fortement, voire refuser de prescrire une méthode (ou refuser de pratiquer une IVG). Tout ça fait partie de ses prérogatives. Mais il ne peut en aucun cas "interdire". En revanche, et c'est plus grave, il peut choisir de désinformer la femme ou diaboliser son choix de contraception.

Déconseiller : un professionnel peut déconseiller vivement à une patiente de prendre une pilule contenant des estrogènes après 35 ans si elle fume. Il peut également refuser de la lui prescrire.

En théorie, il peut cependant, après avoir dûment informé cette patiente des risques (phlébite, embolie pulmonaire), la lui prescrire parce que 1° elle dit comprendre les risques ; 2° le risque d'être enceinte lui est beaucoup plus intolérable ; 3° elle ne peut ou ne veut pas utiliser d'autres méthodes, et c'est son droit le plus strict.

Si je parle de la pilule estroprogestative, c'est parce qu'à l'heure actuelle, c'est la seule contraception qui comporte un risque grave (accident vasculaire) ou mortel (décès par embolie). Aucune autre contraception (non, pas même le DIU) ne peut, à elle seule, provoquer un décès du seul fait de son utilisation.

Et cependant malgré le risque, un médecin peut la prescrire. Ce  n'est ni criminel (il s'agit d'un risque, pas d'une certitude) ni crapuleux (a priori, s'il ne "monnaie" pas sa prescription, le médecin ne gagnera rien de plus à la prescrire qu'à ne pas le faire), ni contraire à l'éthique : si la patiente est informée des risques, il est éthique de l'aider à prendre une décision risquée ; tout comme il serait parfaitement éthique, par exemple, d'accompagner dans sa grossesse une femme qui veut la poursuivre alors même que sa vie est en danger. C'est ce qu'on appelle une décision partagée. (Je vous conseille cet excellent billet sur le sujet.)

Pour le dire plus simplement : un médecin ou une sage-femme sont habilité.e.s à laisser une patiente choisir entre deux risques celui qui, pour elle, est le plus acceptable. Il suffit de comparer la probabilité d'être enceinte à 35 ans et celle d'avoir un accident thrombo-embolique sous pilule pour comprendre que certaines femmes puissent choisir de courir le second risque plutôt que le premier. (Rappelons que le risque thrombo-embolique existe aussi pendant la grossesse, et qu'il est supérieur à celui de la prise de pilule...)

Refuser de prescrire : un médecin ou une sage-femme qui refuse (calmement) de prescrire une pilule estroprogestative à une femme de (mettons) quarante-cinq ans, qui fume et a déjà fait une phlébite ne prononce pas une "interdiction", il/elle se contente de dire : "Le risque que je vous ferais courir est supérieur aux avantages que vous pourriez en tirer, et c'est contraire à mes obligations."
Notez que ses obligations lui imposent aussi de lui proposer toutes les autres méthodes disponibles, de les lui expliquer, de l'aider à en choisir une et de les mettre à sa disposition. S'il se contente de lui dire : "Non je vous prescrirai pas votre pilule" et de la laisser en plan, il commet une faute professionnelle - non par son refus de prescrire, par son refus de l'informer des alternatives.

Désinformer ou diaboliser : entre désinformation et diabolisation, la nuance peut être ténue.

La désinformation peut être, tout simplement : "Un diaphragme ou une cape cervicale, ça n'est pas une contraception efficace pour une femme sans enfant."

C'est faux (l'efficacité dépend de la femme et de ses conditions de vie, pas seulement de la méthode), et c'est contre-productif. Pour une femme donnée, toute contraception peut être une bonne méthode si elle la choisit en pesant le pour et le contre d'un ensemble de facteurs : efficacité théorique, confort d'utilisation, adéquation à la fréquence de ses rapports sexuels, etc.

Plus grave, affirmer par exemple :  "La stérilisation est interdite avant 35 ans" est un mensonge pur et simple.

Et dire : "Les DIU provoquent des grossesses extra-utérines, des infections et une stérilité" est une contre-vérité scientifique et donc, une diabolisation : aucune femme n'aura envie d'y recourir dans ces conditions.

Dans un cas comme dans l'autre, désinformer un peu ou beaucoup peut suffire à interdire l'accès d'une méthode.

Que signifie, pour un.e professionnel.le de santé, d' "interdire" à une femme l'accès à une méthode de contraception ? 

Un professionnel de santé, nous l'avons dit, n'a pas à "interdire" quoi que ce soit. Il ne peut que rappeler la loi ou les réglements. Et le faire loyalement - c'est à dire sans mentir ou désinformer à leur sujet.

Par conséquent, "interdire" à une femme l'accès à une méthode qu'elle pourrait utiliser sans danger est une contre-vérité scientifique et une faute éthique, et de ce fait une faute professionnelle.
Plus précisément, un refus de soin. Et, dans le cas précis des femmes nullipares, leur refuser une méthode au seul motif qu'elles n'ont pas eu d'enfant, c'est une discrimination.

Or, le refus de soin et la discrimination sont interdits par la loi et peuvent donc faire l'objet d'une plainte. 

Ce n'est pas moi qui le dis, mais le Code de la Santé publique.



Marc Zaffran/Martin Winckler







4 commentaires:

  1. Excellent billet comme toujours
    Seulement à priori dans l' état actuel les diaphragmes et les capes sont légalement soumises à prescription médicale. Pour la cape le laboratoire qui les fournit assure une vente directe aux professionnels de santé. Un particulier peut donc assez facilement se les procurer.
    Pour le diaphragme, le laboratoire qui les importe ne fait pas de vente directe et ne délivre que par l'intermédiaire d'une officine sur ordonnance.
    Nicolas dutriaux, sage femme

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    1. Merci pour cette précision. Comme ces dispositifs sont en vente libre dans d'autres pays, je pensais que c'était le cas en France. Je suis heureux que vous ayez rectifié mon erreur pour l'ensemble des lecteurs/trices.

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  2. Personnellement, je souhaite une ligature des trompes depuis très longtemps (et une vrai : le retrait des trompes pur et simple. 100% efficace, effet secondaires nuls hormis ceux inerrant à une opération).
    Mais voilà, comme je n'ai pas d'enfants et que je n'ai pas plus de 35 ans, on me la refuse. (alors qu'il faut simplement être majeur)
    Résultat, pour mener une vie de couple presque normale, j'ai du me tourner vers la contraception classique hormonée... Sauf que je ne la supporte pas. Mais voilà, aucun praticien n'a voulu m'écouter ou me croire quand j'indiquais les effets secondaires.
    Quand on m'a sorti pour la 4ème fois "ha bah on va en essayer une autre", j'ai répondu que le cobaye avait sa dose et je me retrouve avec comme seul moyen de contraception des préservatifs...
    Résultat, un stress énorme et assez dévastateur pour une vie de couple.
    Et beaucoup plus grave, des effets secondaires persistants : bouffée de chaleur, terreur nocturne, anémie, vomissements matinaux, cycle faisant entre 15 jours et 8 mois, douleurs à la poitrine,... Pour ne citer que les plus contraignant toujours présent après 4 ans sans prise d'aucune hormone...

    Tout ça juste parce qu'aucun praticien n'a voulu m'écouter.... et qu'on m'a refusé la contraception que j'avais choisi...
    De plus c'était un vrai choix car encore aujourd'hui, la seule contraception qu'on propose en France à une nullipart, c'est la pilule.

    Et pourquoi aucun médecin ne parle du Risug aux hommes ? Il existe pourtant depuis plus de 10 ans !

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  3. Votre article me parle tellement!
    Hier, rendez-vous post-partum avec ma gynécologue. Nous parlons reprise de la contraception, et je lui fais part de mon intention de passer à l'anneau vaginal à la fin de mon allaitement, décision mûrement réfléchie. En effet, je ne souhaite pas prendre la pilule, trop contraignante, et je n'ai pas supporté les effets secondaires du Mirena.
    Elle me refuse la prescription car j'ai 36 ans et je fume, or je lui ai fait savoir que j'avais toute conscience des risques induits, cependant moindres que ceux de trois grossesses rapprochées (mes deux dernières ont 18 mois d'écart).
    Elle me propose l'implant, solution qui ne me convient pas, car elle signifie être obligée de repasser par un médecin pour le faire enlever en cas d'effets secondaires gênants, effets secondaires qui sont malheureusement les mêmes que ceux du Mirena.
    Problématique surajoutée, je veux pouvoir arrêter mes cycles, ayant des antécédents d'endométriose sévère m'ayant valus une lourde intervention chirurgicale, et que des saignements intempestifs pourraient faire revenir.
    Me voilà donc dans l'impasse la plus totale...

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