mercredi 30 septembre 2015

Aux yeux de la loi, le patient est-il un « objet » pédagogique ? - par le Pr Bruno Py, de l'Université de Lorraine

Je reproduis ci-dessous des extraits d'un article du Pr Bruno Py, Professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Lorraine, qui éclaire sans ambiguïté les questions légales soulevées par les examens gynécologiques subis trop souvent par de trop nombreuses patientes. MZ/MW

******


 (…) L’explosion médiatique. Dès février 2014, le médecin-écrivain Marc Zaffran [Martin Winckler] sur son blog attirait l’attention des lecteurs sur cette pratique ancestrale utilisant les patients endormis comme objets pédagogiques. Pourtant, c’est le journal gratuit Metronews qui fut à l’initiative d’une violente campagne médiatique par la publication le 2 février 2015 d’un article intitulé : Touchers vaginaux sur patientes endormies : un tabou à l’hôpital ? Cet article révélait que sur le site de l’Université Lyon-Sud, un document officiel suggérait que les étudiants devaient s’exercer au toucher vaginal sur des patientes endormies au bloc opératoire. Des réponses maladroites de la doyenne de l’UFR concernée et du président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français  amplifiaient l’émotion. Toute la presse nationale s’était alors enflammée. « Le ministre de la Santé s’apprêterait à saisir le président de la Conférence nationale des doyens des universités de médecine ».

L’explication sociologique. (...) Les explications fournies globalement par les médecins qui justifient ces pratiques sont désarmantes d’anachronisme. « C’est utile. Les patients ne s’en rendent pas compte. Si on leur demande ils refuseront. De toute manière, ils doivent bien s’en douter »… Si nul ne conteste l’utilité de l’enseignement du toucher rectal et du toucher vaginal, chacun des autres arguments est facile à renverser. L’inconscience n’est pas une raison, mais une circonstance aggravante de vulnérabilité. Le risque de refus est le corollaire de l’exigence légale de respect du consentement. Le consentement n’est pas un luxe, mais une nécessité juridique absolue. Enfin, le consentement ne se présume pas.

La qualification pénale envisageable. La loi du 23 décembre 1980, dans sa nouvelle définition du viol, n’a pas lié la qualification à la satisfaction d’une pulsion sexuelle. « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, constitue un viol ». Aussi peut-on envisager que tout acte médical entraînant une pénétration des organes sexuels, imposé par violence, contrainte, menace ou surprise puisse être qualifié viol. Ce pourrait être le cas pour un frottis vaginal, un toucher rectal, une échographie endo-vaginale ou une coloscopie imposés par un médecin. Pour le droit pénal, abuser sexuellement de la femme ivre ou assoupie ou pratiquer un toucher rectal sur un patient anesthésié constitue le crime de viol.

Conclusion.
Dès 1956, dans le Traité de droit médical pouvait-on lire :

« Il n’est nullement vrai que l’entrée, même volontaire du malade à l’hôpital ou dans une clinique, implique nécessairement l’acceptation, faite par avance, des traitements que les médecins de cet établissement jugeront bon de lui faire subir, ni que l’anesthésie consentie comporte d’avance le consentement à une opération quelconque ».

Nul ne conteste l’importance de former tous les étudiants en médecine à l’examen clinique qui restera à jamais primordial, quels que soient les progrès technologiques. Mais cet enseignement clinique, au lit du malade, suppose désormais d’associer chaque patient, dans le respect de sa liberté d’accepter ou de refuser cette participation passive à l’apprentissage du futur médecin. Pour la loi, le patient ne doit plus être considéré comme un objet pédagogique, mais, s’il en est d’accord, comme un sujet pédagogique.
Le patient, « objet » pédagogique ? - Pr. Bruno Py, Professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Lorraine (in « Mélanges en l’honneur du Professeur Claire Neirinck », 4 août 2015)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont modérés. Tous les commentaires constructifs seront publiés. Les commentaires franchement hostiles ou désagréables ne le seront pas.